samedi 30 novembre 2013

277. "The gold in Africa" (1936) / "Cockeyed world" (1935)

Tard venue dans la "course au clocher", l'Italie s'engage dans un colonialisme à contretemps, tentant de se faire une place entre les grands empires coloniaux existant (français et britannique). Les fascistes au pouvoir reprennent à leur compte cette ambition, ce qui les conduit à lancer une guerre d'agression contre le seul État demeuré indépendant en Afrique: l'Ethiopie.
Quelles sont les caractéristiques de ce conflit? Quelles sont ses répercussions sur la scène internationale?

La possession d'un empire coloniale obsède de longue date les autorités italiennes, mais, tard venu dans la course aux colonies, elles tardent à concrétiser cette ambition. C'est d'abord en direction de la Méditerranée que Rome porte son regard. Devant l'absence de perspectives, elle doit se rabattre sur la mer Rouge. Une compétition débute alors avec l'Angleterre pour le contrôle du nord-est de l'Afrique. En 1869, une expédition italienne y acquiert la baie d'Assab, puis Massaoua trois ans plus tard. [voir carte ci-dessous]
Les Italiens cherchent dès lors à relier les deux territoires et à en occuper l'arrière-pays. C'est ainsi que voit le jour la colonie d'Erythrée. Par deux traités de 1891, l'Italie se voit autorisée à exercer une suprématie dans la Corne de l'Afrique contre l'engagement de ne pas mettre les pieds dans la vallée du Nil, chasse gardée du Royaume-Uni.

Carte tirée du site atlas-historique.


Désormais, l'Ethiopie devient l'objet de la convoitise italienne. Une première tentative d'expansion échoue lamentablement à Dogali, le 26 janvier 1887. L'armée italienne y est taillée en pièces. Pour laver cet affront, Rome rassemble une armée plus puissante et tente une manœuvre diplomatique consistant a monter le ras   Johannes contre son rival Ménélik.  
Les Italiens passent un accord secret avec ce dernier. Débarrassé de son rival en 1889, Ménélik II est couronné empereur.  
Or, très vite, des tensions apparaissent entre le nouveau négus et son ancien allié italien, à propos de l'interprétation du traité d'Ucciali (2 mai 1889). (1) Dans sa version amharique, l'article 17 stipule que l'Ethiopie pourra faire appel à la diplomatie italienne dans ses relations avec un État tiers, tandis que, dans sa version italienne, pourra et remplacé par devra. Ces dissensions conduisent à la guerre, qui éclate en janvier 1895.

Tapisserie éthiopienne commémorant la bataille d'Adoua.


* Le désastre d'Adoua.
Lors de la bataille d'Adoua en 1896, les Italiens laissent sur le terrain plusieurs milliers de tués et abandonnent 1700 prisonniers. L'outrecuidance des autorités italiennes, les failles du commandement, la résistance opiniâtre d'une armée éthiopienne soudée, bien équipée et supérieure en nombre, conduisent à cette déroute et provoquent la chute du gouvernement, ainsi que l'interruption temporaire de l'expansion coloniale. Par le traité d'Addis-Abeba du 16 octobre 1896, l'Italie reconnaît l'indépendance de l'Ethiopie. L'écho de cette retentissante défaite des Européens en Afrique se propage aussitôt. Ménélik II en tire un grand prestige. Il a désormais les coudées franches pour engager une politique expansionniste et de modernisation (limitée toutefois à la capitale). Sa fille Zaouditou lui succède, mais c'est le ras Tafari - fils de son homme de confiance - qui joue désormais les premiers rôles. Pour desserrer l'emprise des puissances coloniales, ce dernier engage une politique étrangère active. En 1923, il obtient l'admission de son pays à la jeune Société des Nations (SDN) sur intervention de l'Italie. En 1928, il signe avec cette dernière un traité d'amitié et d'arbitrage, aux termes duquel les deux pays s'engagent à ne rien entreprendre de préjudiciable à leur indépendance respective et à soumettre tous les différends à la conciliation et à l'arbitrage.


Le général Rodolfo Graziani. Ce sinistre personnage vient de se voir consacrer un mausolée dans un village du Latium. Olivier Favier y revient dans son blog.
  
En dépit de cet échec, l'idée coloniale demeure très populaire dans la péninsule. Ces espoirs intacts de conquête se concrétisent en 1911-1912 avec la prise de contrôle des provinces ottomanes de Cyrénaïque et de Tripolitaine. Rome fonde aussitôt de grands espoirs sur cette colonie rebaptisée Libye.
Dès leur accession au pouvoir, les fascistes poursuivent et approfondissent cette politique coloniale. Pour la justifier, ils ne cessent de fustiger la "victoire mutilée". (2) Mussolini développe en outre le thème de la "nation prolétaire". (3) L'Italie, pays pauvre, doit avoir une place au soleil.

Ainsi, les éléments de continuité entre le colonialisme "libéral" (car issu du régime libéral du XIXè s.) et le colonialisme fasciste sont légions, en particulier l'idée que la colonisation serait le remède aux problèmes sociaux et économiques de la péninsule; un moyen d'acquérir un grand prestige international par la mainmise sur de vastes territoires. La conquête coloniale permettrait en outre, selon ses promoteurs, à détourner les flux migratoires italiens vers l'empire colonial et non plus vers l'Europe ou l'Amérique. (4) Enfin, elle offrirait une occasion de renouer avec la vocation africaine de la Rome impériale.
 Le colonialisme fasciste rompt toutefois avec son prédécesseur à plusieurs niveaux, en particulier sur la question du racisme. Dès leur accession au pouvoir, les fascistes agissent avec une grande brutalité à l'encontre de populations indigènes dont les maigres droits régressent encore. Ainsi, en 1923, ils se débarrassent du statut politique accordé aux élites libyenne, garantie d'une certaine forme d'autonomie politique.  
L'empreinte fasciste s'observe également dans la pratique coloniale comme en atteste la féroce répression que subissent  les mouvements de résistance autochtones libyens. En 1930-1931, le général Rodolfo Graziani (qui mènera ensuite la guerre en Éthiopie) utilise massivement les gaz (ypérite) contre la guérilla. Il recourt également aux déplacements de populations civiles, parquées dans des camps. On estime qu'un tiers des populations de cyrénaïque périt au cours de ces déplacements. 

"Par l'occupation italienne, la Tripolitaine s'ouvre enfin à la civilisation." C'est en tout cas ce que proclame le Petit Journal sur sa Une du 15 octobre 1911. 



* Pourquoi l'Ethiopie?
A l'issue de cette campagne, les fascistes contrôlent solidement le territoire libyen et peuvent désormais songer à attaquer à l’Éthiopie. Ce sont des aspirations avant tout politiques qui motivent le Duce. Une victoire contribuerait d'abord à venger le désastre d'Adoua. La guerre d’Éthiopie permettrait en outre de concrétiser les aspirations belliqueuses du régime, tout en s'intégrant dans la politique de grandeur si souvent proclamée.
Le choix de l’Éthiopie, dernier État indépendant d'Afrique avec le Liberia, a également des raisons géopolitiques. La situation du pays en fait la clef de voûte de l'axe maritime reliant l'océan indien à la Méditerranée (la mythique route des Indes). D'autre part, sa conquête compléterait la présence italienne dans la Corne de l'Afrique et pourrait devenir une colonie de peuplement. 
Pour justifier l'intervention italienne, Mussolini use d'arguments moraux. La conquête de l’Éthiopie mettrait un terme à l'esclavagisme endémique de la région. Elle diffuserait la civilisation auprès de population considérée - dans l'imaginaire raciale du fascisme - comme arriérées.

Dès 1932, le gouvernement de Rome semble décidé à en découdre. 
Cette hostilité proclamée constitue une rupture dans les relations italo-éthiopiennes, encore cordiales jusqu'au début des années 1930. En parallèle, l'Italie intensifie sa pénétration économique, sous le couvert de la collaboration pacifique. Conscient des objectifs réels de cette infiltration, Hailé Sélassié tente en vain de desserrer l'emprise. A partir de la fin de l'année 1934, Mussolini suscite et envenime une série d'incidents de frontière, en Érythrée, torpillant systématiquement les tentatives d'arbitrage.(5) L'affaire est portée par le négus devant la Société des Nations à la recherche d'une conciliation. Or, Mussolini fait monter les enchères et torpillent toutes les tentatives de conciliation puisque ce qu'il veut, c'est la guerre.

L'empereur Hailé Sélassié plaide la cause de l'Ethiopie à la tribune de la Société des Nations en 1936.


 * La guerre.
La guerre débute officiellement le 2 octobre 1935.
Pour ne pas  connaître de nouveau l'humiliation d'Adoua, Mussolini entend mener une guerre totale, rapide et brutale, au cours de laquelle "l'homme nouveau" fasciste devra se révéler.
La disproportion des forces saute aux yeux. Près d'un demi-million de soldats italiens bien équipés affronte une armée pléthorique, mais dépourvue de matériel moderne. Les forces militaires italiennes engagées s'avèrent considérables. 330 00 soldats italiens épaulés par 80 000 soldats coloniaux (les ascaris) disposent de 1 100 canons, 250 chars et 250 avions (quand les forces éthiopiennes n'en comptent que de 13!).
Mussolini incite à la plus grande brutalité et cautionne l'usage de la terreur, mise en pratique sur le terrain par le redoutable Graziani. Les soldats italiens s'en prennent de manière systématique aux civils, rasent et pillent des villages, persécutent le clergé copte, éliminent les sorciers. Maîtres des airs, les Italiens multiplient les bombardements aériens. Leur aviation déverse des pluies d'ypérite, ces gaz asphyxiants qui font mourir les victimes dans d'atroces souffrances. Le recours aux armes bactériologiques n'est empêché que par les risques qu'elles font courir aux troupes italiennes.  

Le premier mois du conflit amène une série de victoires italiennes. Le rythme de l'avancée se ralentit ensuite et conduit au remplacement du maréchal Badoglio par le général de Bono. 

Le négus sur le front au cours du conflit italo-éthiopien.


* Propagande intensive.
 La guerre se mène aussi sur les places d'Italie où la propagande joue à plein. Au fil des allocutions, Mussolini dénonce le caractère "esclavagiste et féodal" de la société éthiopienne, tout en s'appuyant sur les rancœurs nées de la grande guerre. 
La proclamation de l'Empire, le 9 mai 1936, représente l'acmé de la ferveur populaire qui s'empare alors de la péninsule. Alors même que l'Italie ne contrôle effectivement qu'un tiers de l’Éthiopie, Mussolini présente l'empire comme la continuation historique de la Rome des Césars.
"Italiens et Italiennes, dans la patrie et dans le monde, Écoutez !
  L’Italiepossède enfin son empire. Empire fasciste, parce qu'il porte les signes indestructibles de la volonté et de la puissance du licteur  romain, car il est le but vers lequel, durant quatorze ans, ont été tendues les énergies impétueuses mais disciplinées des jeunes et vaillantes générations italiennes. [...]

Levez bien haut, légionnaires, vos drapeaux, vos armes et vos cœurs pour saluer, après quinze siècles, la résurrection de l'Empire sur les collines sacrés de Rome. » 

Les sanctions prononcées par la SDN contre l'Italie fasciste permettent à Mussolini de présenter le régime comme une victime. Cette rhétorique emporte l'adhésion comme semble l'attester le soutien unanime de l'opinion. Ainsi, à l'occasion de la giornata della fede ("la journée de la foi"), le 18 décembre 1935, les Italiens viennent massivement verser leur or pour soutenir l'effort de guerre. Les épouses, en particulier, donnent leurs alliances. Les principaux dignitaires fascistes s'exécutent aussitôt (la femme de Mussolini, la reine), mais le petit peuple paye également son écot. Le rapport d'un indicateur de la police de Milan en octobre 1935 confirme l'adhésion des masses au discours propagandiste fasciste: "J'ai fréquenté ces jours-ci les quartiers ouvriers, vif enthousiasme partout; exécration de l'Angleterre, certitude de la victoire sur tous les obstacles qui nous seront opposés, attachement au Duce."

Les communautés italiennes à l'extérieur ne sont pas en reste comme le prouvent la création de ligues, la levée de collectes de fonds, les campagnes d'engagement volontaire. Bref, la guerre touche le sentiment national italien, renforcé encore par l'impression que l'Italie est seule contre tous, ou presque.

Rome, 18 décembre 1935. A la suite des sanctions prises contre l'Italie par la SDN après la guerre d’Éthiopie, Mussolini fait appel à toutes les femmes italiennes pour soutenir la nation. Elles sont invités à troquer leur alliance contre une en acier. La cérémonie se déroule sur l'autel de la Patrie, face à la flamme du soldat inconnu.



* Réactions de l'opinion internationale.
Comment l'opinion internationale réagit-elle à l'agression de l'Ethiopie, pays membre de la SDN depuis 1923?
Dès les premiers jours de combats, l'Italie se rend coupable de violations répétées du droit de la guerre. La question, portée devant la SDN, donne lieu à des enquêtes, en particulier sur l'emploi des gaz, proscrits par la convention de Genève de 1925. 
Le pays est condamné et frappé de sanctions à caractère économique comme l'embargo sur les armes (à destination de la seule Italie) ou l'interdiction d'exporter certains produits vers la péninsule. Ces mesures se révèlent toutefois inefficaces. D'une part, les Britanniques ne ferment pas le canal de Suez aux navires italiens. D'autre part, les produits stratégiques comme le pétrole, échappent à l'embargo.

En Europe, il y a débat. (6) La réaction du gouvernement  français est hésitante, non dénuée d'ambigüité. Lors des accords de Rome du 7 janvier 1935, Pierre Laval, alors ministre des affaires étrangères, manifeste son désintérêt de la France à l'égard de l'Ethiopie. Pour Mussolini, il s'agit d'un blanc-seing.  
Devant les indices laissant augurer d'une action italienne en Éthiopie, la Grande-Bretagne redoute de son côté la mainmise d'un État potentiellement hostile sur la haute vallée du Nil et une menace sur la symbolique route des Indes. Elle multiplie donc les avertissements et dépêche une flotte de 800 000 tonnes en Méditerranée, avec des navires aux canons dépourvus d'obus. L'attachement pacifiste de sa population l'oriente finalement vers la recherche d'un compromis, tel que le plan Hoare (décembre 1935). (7)
Dans le contexte du front de Stresa, la France et la Grande Bretagne escomptent un soutien de Mussolini face à la montée en puissance de l'Allemagne nazie et ménagent donc le régime fasciste. 



* Conséquences de la guerre.
Loin d'être un conflit périphérique sans importante, la guerre italo-éthiopienne constitue un tournant capital du fascisme. 
Les succès remportés renforcent le sentiment d'infaillibilité chez Mussolini, convaincu désormais de la validité du recours à la force.
Aux yeux du Duce, la longanimité dont ont fait preuve Londres et Paris sont symptomatiques de la faiblesse irrémédiable des démocraties et de leur émanation, la SDN. La guerre d’Éthiopie révèle donc la faillite du système de sécurité collective imaginée au lendemain de la grande guerre. Elle met en évidence l'impuissance de la Société Des Nations à régler pacifiquement les conflits internationaux. Le 4 juillet 1936,  constatant le fait accompli, l'organisation lève les sanctions prises contre l'Italie.  
 Ainsi, la guerre provoque une césure avec les démocraties occidentales et aboutit à la rupture du "front de Stresa". En corollaire, elle amorce le rapprochement avec l'Allemagne nazie, seule puissance à l'avoir soutenue pendant la crise. 

Sur le plan colonial, la conquête de l'Ethiopie n'apporte pourtant pas à l'Italie fasciste les résultats escomptés. D'une part, les Éthiopiens refusent de se rallier et poursuivent la guérilla, et ce, bien après la signature du traité de paix. 
D'autre part, le contexte géopolitique difficile ainsi que le renoncement rapide des quelques colons italiens bernés par "l'eldorado abyssin", contribuent à l'échec des velléités d'implantation d'une colonie de peuplement durable en Éthiopie. Pour preuve, la seule colonie italienne de New York était dix fois plus nombreuse que toute la population métropolitaine de l'Empire!



Manifestation de protestation contre l'invasion fasciste de l'Ethiopie.
Aux Etats-Unis, la mobilisation populaire est sans précédent. L'historien John Hope Franklin note ainsi, qu'avec l'invasion italienne de l'Ethiopie, "presque du jour au lendemain, même le plus provincial parmi les Noirs américains devint enclin à l'international".  
Dans les jours qui suivent le déclenchement du conflit, des émeutes éclatent entre communautés noires et italiennes, à Harlem. 

* Répercussions du conflit au sein de "l'Atlantique noir".
L'agression fasciste contre l'Ethiopie indigne particulièrement les populations de la diaspora noire, pour lesquelles la nation éthiopienne représentait un puissant symbole de liberté, dans une Afrique partagée entre puissances européennes. (8) Aussi, dans les jours qui suivent la déclaration de guerre, des soulèvements populaires spontanés éclatent dans tout l'arc caribéen. L'invasion italienne incite les populations à s'interroger sur la domination coloniale subie. Elle cristallise, en outre, un sentiment d'appartenance et de solidarité raciale. Enfin, elle contribue  à redéfinir les relations entre Africains et descendants d'Africains. 
La dimension panafricaine de ces soulèvements populaires ne fait donc aucun doute.
George Padmore, célèbre panafricaniste trinidadien, exprime ainsi le sentiment qui parcourt alors les communautés noires:"La prise brutale de l'Ethiopie, jointe à l'attitude cynique des grandes puissances, convainc les Africains et les peuples d'ascendance africaine du monde entier que les Noirs n'avaient pas de droits que les Blancs se croiraient obligés de respecter, si ces droits gênaient leurs intérêts impérialistes (...) En constatant ainsi leur manque total de défense contre la nouvelle agression perpétrée en Afrique par des Européens, les Noirs ont jugé nécessaire de s'occuper d'eux mêmes."


Partout, le mouvement de sympathie pour l'Ethiopie est immense, il prend cependant des formes très diverses suivant les pays.
Aux États-Unis, des associations se forment dans l'objectif de lever des fonds et des volontaires pour l'Ethiopie. Ces derniers, appelés "Éthiopiens", se ruent vers les ambassades et consulats, pour s'enrôler dans la défense de l'Ethiopie. En parallèle, un boycott des produits italiens s'organise dans les grandes métropoles américaines. Des batailles de rue éclatent entre Italiens et Noirs. 
Ailleurs, la guerre semble avoir joué un rôle de catalyseur dans la construction locale de culture de classe, comme à Trinidad où une grande grève secoue l'île en 1937. En Jamaïque, le conflit est perçu comme le prélude à la forte agitation sociale qui secoue l'île en 1938. 

L'émotion suscitée inspire de nombreux nombreux calypsos aux musiciens, scandaisés  par le viol de l'Ethiopie.
Nous avons retenu ici deux morceaux: 
- Le calypso, du dénommé Tiger, explique l'invasion de l'Ethiopie par la volonté de Mussolini de séduire la femme du négus. 
- Le second titre, "Cockeyed world", est un blues enregistré à Jackson (Mississippi), soit quelques jours seulement après l'entrée en guerre (12 octobre 1935). Minnie Wallace (9) y établit un parallèle entre les violences de la guerre et celles que son mari lui fait subir au quotidien. 
Ces 2 morceaux témoignent de l'onde de choc provoquée par la guerre italo-éthiopienne dans les mondes noirs.

A suivre... Dans un prochain volet, nous nous intéresserons à la politique raciale menée par les fascistes en Éthiopie grâce au morceau faccetta nera.


Glossaire: 
ras = chef éthiopien
négus = titre donné au souverain éthiopien. Il signifie "roi des rois".
 



Notes:
1. Signé le 2 mai 1889 entre le gouvernement italien de Francesco Crispi et le négus Ménélik II (1889-1913), le traité d'Uciali concède l'Erythrée à l'Italie en échange de l'aide apportée au négus pour la reconquête de son trône. L'interprétation italienne de l'article 17 lui permet de revendiquer l'établissement d'un véritable protectorat sur le pays. Cette interprétation est refusée par l'Ethiopie, soutenue par le Royaume-Uni qui redoute l'expansionnisme italien.

2. Pour Rome, les alliés n'ont pas honoré les engagements souscrits lors du traité de Londres du 26 avril 1915 qui conditionnait l'entrée en guerre de l'Italie à l'attribution de compensations coloniales à concrétiser lors des futurs traités de paix.
3. Expression utilisée par les nationalistes italiens pour désigner les États européens ne possédant pas ou peu de colonies. Cette rancœur servira à justifier l'invasion de l'Ethiopie en 1935.
4. Dans les faits, les Italiens migrants se dirigent vers les États-Unis; l'Europe et se dirigeront bien peu en direction des colonies.

5. Un accrochage a lieu entre une unité italienne et les Abyssins, le 4 décembre 1935 à Ual Ual, en Ogaden. Trente soldats indigènes italiens trouvent la mort. 
6. En France, un manifeste de soutien à Mussolini, lancé par Henri Massis, reçoit les signatures d'une centaine d'intellectuels de droite et d'extrême droite (Drieu La Rochelle, Henri Bordeaux). En réaction, des contre-manifestes condamnent l'agression fasciste. 
7. Le ministre des affaires étrangères, Sir Samuel Hoare, et le président du conseil français, Pierre Laval, présente ce plan en décembre 1935. Il vise à préserver l'alliance italienne en accordant au pays les deux tiers de l'Ethiopie, tout en permettant aux colons de s'implanter dans le dernier tiers. Finalement, l'opposition des opinions publiques fait échouer le plan, ce qui entraîne la rupture du front de Stresa.  
 
8. Les Afro-américains se sont très tôt intéressés à l'Ethiopie, seul territoire avec le Libéria a demeuré indépendant jusqu'à la guerre. Le terme "Ethiopien" sert d'ailleurs au cours des années 1930 à désigner les Noirs américains. L'histoire singulière du pays, les prophéties de Marcus Garvey, contribuent à focaliser l'attention sur cette "Athènes noire".
9.  Blueswoman aujourd'hui oubliée, Minnie Wallace appartient à la foisonnante scène du Memphis de l'entre-deux-guerre dont les plus célèbres représentant ont pour nom Frank Stokes, Furry Lewis, Memphis Minnie ou le mythique Memphis Jug Band.






The gold in Africa 

 The Gold , / the Gold The Gold, / the Gold The Gold In Africa / Mussolini want from the Emperor 

L'or, / l'or l'or, l'or / l'or, l'or de l'Afrique / Mussolini l'exige de l'empereur 

Abyssinia appealed to the league for peace / Mussolini’s action was like a beast / A villain, a thief, a highway robber / And a shameless dog 

L'Abyssinie en appelle à la Société des Nations / La conduite de Mussolini est celle d'une bête / un vilain, un méchant, un voleur de grand chemin / un chien sans scrupule 

He crossed the border and added more / The Emperor had no intentions for war / That man I call a criminal / The man destroyed churches and hospitals 

 Il a franchi la ligne jaune / alors que l'empereur n'avait pas d'intentions belliqueuses / cet homme, que je considère comme un criminel, / cet homme détruisit églises et hôpitaux 

He said expansion he really need / He has 45 million heads to feed / Why he don’t attack the Japanese / England, France or hang on, on Germany? 

 Il affirmait que l'expansion [italienne] était nécessaire / il a 45 millions de bouches à nourrir /  pourquoi n'a-t-il pas attaqué les Japonais, / l'Angleterre, la France ou mieux encore, l'Allemagne? 

 The man want to kill King Haile Selassie / To enslave his territory / They began to cry for food and water / In that burning deserts of Africa 

 Cet homme veut tuer le roi Hailé Sélassié / assujettir son territoire / ils commencèrent à réclamer à boire et à manger / dans ces déserts brûlants africains 

We have diamond , ruby and pearl / Platinum, silver and even gold / I don’t know why the man making so much strife / I now believe he want Haile Selassie wife 

Nous avons des diamants, rubis, des perles / du platine, de l'argent et même de l'or / Je ne comprends pas pourquoi cet homme cherche la bataille / Je sais maintenant qu'il convoite la femme d'Hailé Sélassié 

If he want gold as a dictator / Try in DemararaVenezuela or Canada / Austro Hungaror else in America 

Si il veut de l'or comme un dictateur / qu'il essaie au Venezuela ou au Canada / en Autriche-Hongrie ou bien en Amérique

 

 Cockeyed world
                                           [...]
 I woke up this morning feeling mighty sad (2X)
Was the worst old feeling that I ever had.

It's war on Ethiopia and mama's feeling blue. (2X)
I tell the cockeyed world, I don't know what to do.


They say that Ethiopia is a long ways from here. (2X)
They trying to steal my man and hurry him over there.


I love my man, tell the cockeyed world I do. (2X)
It's coming the time that he'll sure loves me too.


This old cockeyed world will make your good man treat you mean. (2X)
He will treat you just like a poor girl he's never seen.


It's war on Ethiopia and my man won't behave. (2X)
I tell the cockeyed world  I'll spit in my baby's face.


It's war on Ethiopia. Baby, please, please behave.
I'll tell the cockeyed world, I'll follow you to your grave.

That's right.




Sources: 
- Une émission passionnante de la "Nouvelle Fabrique de l'Histoire" (France Culture): "Colonisation comparée 3/4", 3 avril 2013. Débat sur l'empire colonial italien avec Marie-Anne Matard-Bonucci, Stéphane Mourlane, Giulia Bonacci. Écoutable ici

- Sur le  fantastique blog Dormira jamais d'Olivier Favier: "Sexualité et guerre d'Ethiopie. (1)"  et 2 , "Violence dans l'Ethiopie fasciste. (1)" et 2 par Marie-Anne Martard-Bonucci.

- Fabienne Le Houerou, L’épopée des soldats de Mussolini en Abyssinie, 1936-1938, Les Ensablés, Paris, L’Harmattan, 1994. 

- Giulia Bonacci: "Exodus! L'histoire du retour des rastafariens en Ethiopie.", L'Harmattan.

- Jean Sellier: "Atlas des peuples d'Afrique", La Découverte, 2008. 

- Henri Wesseling:"Les empires coloniaux européens (1815-1914)", Folio histoire, 2009.

- Paul Guichonnet: "Mussolini et le fascisme", Que sais-je?, PUF, 1993.  

- Philippe Foro:"L'Italie fasciste", collection U, Armand Colin. 

- Francis Falceto: "Un siècle de musique moderne en Ethiopie." (Cahiers d'études africaines)

- Paul Oliver: "Blues fell this morning: meaning in the blues".

Liens:

- De très riches ressources sur le site de la MRSH Caen: "Le colonialisme italien."

- La LDH Toulon consacre des pages très intéressantes (comme toujours sur ce prodigieux site) au passé colonial et fasciste de l'Italie, au boucher Graziani, à la colonisation sanglante de la Libye.

- Philippe Conrad: "L'aventure coloniale et son échec." (Le Monde de Clio)

- Marie-Anne Matard-Bonucci: "D’une persécution l’autre : racisme colonial et antisémitisme dans l’Italie fasciste.", Cairn.info.


 - Guerre d’Éthiopie et discours de Mussolini (1935-1936) sur Cliotexte.

Aucun commentaire: